Un épisode de la vie au quartier du 12éme régiment de chasseurs

à quelques mois de la dissolution.

 

 

Lors de la dernière réunion de bureau à Sedan, toute une série de documents nous sont présentés par le secrétaire, Philippe Gillet. Parmi eux quelques photos, dont celle d’un EBR « détourellé », drôlement harnaché et vêtu d’une robe peu conforme à l’emploi de l’engin durant cette époque. Quoi que !?

De quoi s’agit-il donc? Seule la lieutenance du moment pouvait être capable de travestir de la sorte ce noble destrier d’acier. Mais ne nous y trompons pas! La réalité est assez proche et voici l’histoire.

En 1983, de mémoire vers la fin de l’été, le régiment apprend le sort que lui réserve le PAM suivant. Le choc est sévère même si chacun, au fond de lui conserve un ultime espoir. Mais notre fière devise prend alors tout son sens sur une idée farfelue.

Dans un dernier baroud d’honneur lui offrant un retour aux sources, faire rouler  notre beau destrier dans le sable et les ornières des pistes africaines en exploitant le fameux rallye-raid du Paris Dakar.

Afin d’étudier l’affaire dans le calme, je m’approche alors discrètement des mécaniciens tels que les adjudants chefs Magnaldi et Verdun ou le brigadier chef Laurent qui tous connaissent le moindre écrou, la moindre clavette ou autres pièces mécaniques, qu’elles soit de métal, caoutchouc, bakélite ou je ne sais quelles autres matières. Et l’on se rappelle qu’il y en avait des pièces. Le capitaine Fontaine, alors officier mécanicien, est séduit par l’affaire. Il connaît les difficultés techniques mais nous assure que c’est jouable. Le chef d’escadrons Luce, chef des services techniques est réservé quant aux difficultés, nous dirons plutôt administratives qui nous attendent mais nous laisse réfléchir au projet. Le capitaine Martin, adjoint de l’ECS, trouve l’idée sympathique et souhaite également participer.

Le rêve commence à se définir.

Une écurie de deux ou trois engins préparés par les grands chirurgiens de l’époque.

Par engin, un équipage de trois hommes constitué d’un lieutenant chef de bord et de deux pilotes mécaniciens, bien sûr sans inverseur.

La tourelle, dont la fonction de la circonstance est inutile, participera à l’allègement de l’engin en restant dans les garages. L’espace ainsi dégagé accueillera sur l’arrière un bloc-méca de rechange, et sur l’avant du puit de tourelle, de quoi installer deux hommes, le chef de bord et l’autre pilote mécanicien, (sur la photo, nous apercevons le chef de corps, le colonel de Soos, l’assistante sociale, Françoise Laroudie et Jean François Rinaldi, président des lieutenants). Quelques astuces sauront protéger les membres de l’équipage des projections de pierres et de poussière. Le poste de pilotage fera l’objet d’une attention particulière, eu égard le degré de confort qu’on lui connaît. Le poste de l’inverseur devra rester accessible, même s’il peut être utilisé pour un stockage particulier, et ce pour sortir de situations nécessitant ce que d’autres nomment la marche arrière. L’engin semble, tout du moins sur le papier et à quelques détails près, paré pour l’aventure. En ce qui concerne la logistique, le ravitaillement en carburant ou autres ingrédients, les hélicoptères pumas en activité au profit des forces pré-positionnées en Afrique devraient pouvoir déposer des réservoirs souples de carburant ou pièces de rechange en des lieux définis.

Le SIRPA aurait pu être un allier de premier ordre s’il n’avait été convié à la promotion, sur le même rallye, du tout nouveau matériel de l’armée de terre, à savoir la Peugeot P4. En effet, l’armée de terre ne pouvait engager deux types d’engins sur la même épreuve en prenant le risque de voir l’un des deux finir sans l’autre. Et l’on imagine alors une situation fort préoccupante vis à vis de la P4 si l’EBR, engin voué à la destruction, arrivait à Dakar, et il en était capable.

A ce détail près que les engins ne concourraient pas dans la même catégorie, que les finalités des deux engagements dans ce rallye ne se confrontaient pas et, cerise sur le gâteau, il n’y avait cette année là quasiment aucun poids lourd en course. Notre écurie avait toutes les chances d’attirer l’attention des médias sportifs. Sans la prétention de vouloir être sur le podium, si l’un des engins atteint Dakar, c’est la victoire de l’honneur et nous aurions certainement gagné la coupe de l’audace.

Nous voilà donc en décembre 1983, le rallye s’ébranle alors sans nos engins mais le rêve reste intact. Faute d’EBR préparé au rallye raid, nous présenterons un EBR type formule 1.

En liaison avec l’atelier régimentaire, je suis lieutenant en premier au deuxième escadron, ça facilite les choses et, aidé par le sous lieutenant Bassac, l’aspirant Bertholet et l’adjudant Delbart, je prépare en secret, une représentation utopique de ce qui aurait pu être réalité.

Sous prétexte de réparation ou de visite, un engin est défait de sa tourelle, les roues intermédiaires initialement conservées pour le raid, sont également déposées et nous créons un effet de largeur des roues arrières en rajoutant une épaisseur de roues extrêmes retournées. La longueur des écrous de fixation des jantes autorise ce montage à 12 millimètres près. C’est le nombre important d’écrous qui permet à l’engin de rouler ainsi. Bien sur au départ, il n’est pas question de quitter le quartier, le futur nous démontrera le contraire. Une rampe de phares est conçue et fixée à l’avant de l’engin par l’adjudant Delbart. Quatre chevrons, une poignée de clous, un rouleau de revêtement de sol aimablement fourni par le casernement,  judicieusement découpé et installé  tel un couturier, donnent un aspect général au prototype.  La touche finale s’inscrit par l’installation d’une porte récupérée je ne sais plus où, en guise d’aileron arrière stabilisateur, caractéristique bien connue des formules 1. L’engin est enfin prêt et je le présente au président des lieutenants. Il est spontanément décidé d’aller, un matin, chercher le chef de corps avec ce véhicule mythique. Nous engageons les démarches auprès des instances civiles afin d’obtenir l’autorisation de rouler dans Sedan, c’est chose faite à la grande surprise et joie de la population, toujours complice de nos farces. C’est ainsi que l’engin est quand même sorti du quartier et a fait l’objet de nombreux questionnements et de photographies au pied des remparts du château fort, nous sommes en février ou mars 1984.

 

 

Voilà l’un des nombreux épisodes que la lieutenance, aidée par le corps mécanicien des sous officiers, pouvait engendrer sous le sceau de l’ardeur au travail, identique à la détente de la plaisanterie, du bon goût et bien sur de l’audace qui n’est pas déraison.

 

Le chef d’escadrons de réserve Gérard Chavonet.